Ilunga Mbidi : la racine commune des Kasaïens et des Katangais

Histoire, mémoire et unité d’un peuple au-delà des frontières coloniales

Introduction – Réapprendre notre propre histoire

En République démocratique du Congo, peu de sujets sont aussi sensibles, aussi mal compris et aussi instrumentalisés que la question des identités régionales. Kasaïens, Katangais, Kivutiens, Équatoriens : ces catégories semblent aujourd’hui aller de soi, comme si elles avaient toujours existé. Pourtant, elles sont historiquement récentes. Elles ne traduisent ni la profondeur de nos civilisations, ni la réalité de nos origines.

L’un des plus grands malentendus de l’histoire congolaise contemporaine consiste à croire que les Kasaïens et les Katangais seraient des peuples distincts, voire opposés. Cette perception, héritée de la colonisation et amplifiée par des crises politiques successives, a occulté une vérité fondamentale : les Kasaïens et les Katangais partagent une même origine ancestrale, une même matrice civilisationnelle, un même tronc historique : le peuple Luba.

Au cœur de cette unité originelle se trouve une figure fondatrice majeure : Ilunga Mbidi. Plus qu’un ancêtre, plus qu’un personnage mythique, Ilunga Mbidi incarne la racine historique, politique, culturelle et spirituelle d’un peuple dont les ramifications s’étendent du Kasaï au Katanga, bien avant que des frontières administratives ne viennent les séparer.

Cet article propose une plongée approfondie dans l’histoire longue, la mémoire orale et la signification contemporaine d’Ilunga Mbidi, afin de démontrer que Kasaïens et Katangais ne sont pas deux peuples, mais deux branches d’un même arbre.

I. Ilunga Mbidi : entre mythe et histoire

1. Mythe fondateur ou vérité historique ?

Dans les sociétés africaines précoloniales, la frontière entre mythe et histoire n’est pas une ligne de séparation, mais un continuum. Le mythe n’est pas une invention ; il est une mémoire codifiée, transmise oralement pour préserver l’essentiel : l’origine, les valeurs, les structures sociales.

Ilunga Mbidi appartient à cette catégorie de figures mytho-historiques :

  • il est mentionné dans de multiples traditions orales luba,
  • son nom traverse les récits du Kasaï comme ceux du Katanga,
  • il est reconnu comme ancêtre fondateur des lignées royales luba.

Refuser son historicité au motif qu’il n’apparaît pas dans les archives écrites européennes serait appliquer à l’Afrique des critères étrangers à ses civilisations.

2. Ilunga Mbidi, l’ancêtre civilisateur

Dans la mémoire luba, Ilunga Mbidi est présenté comme :

  • un chasseur légendaire,
  • un voyageur fondateur,
  • un porteur de l’ordre social et politique.

Il incarne le passage :

  • du clan dispersé à la communauté structurée,
  • de l’autorité brute à la royauté sacrée,
  • de la survie à la civilisation organisée.

Ilunga Mbidi n’est pas seulement le père biologique de lignées : il est le père symbolique d’un système.

II. Le peuple Luba : une matrice civilisationnelle

1. L’émergence du noyau luba

Le peuple Luba émerge dans la région couvrant aujourd’hui :

  • le sud du Kasaï,
  • le nord et le centre du Katanga,
  • une partie du Maniema.

Ce territoire constitue un espace culturel continu, marqué par :

  • une langue commune (tshiluba/kiluba),
  • des institutions politiques similaires,
  • une cosmologie partagée.

Avant la colonisation, le Kasaï et le Katanga n’étaient pas des entités séparées, mais des espaces de circulation humaine, commerciale et spirituelle.

2. La langue comme preuve irréfutable

La langue est l’un des marqueurs les plus solides de l’identité profonde.
Or :

  • le tshiluba du Kasaï,
  • et le kiluba du Katanga,

sont des variantes dialectales d’une même langue.

Les différences de prononciation ou de vocabulaire sont comparables à celles entre le français de Paris et celui de Montréal. Elles ne créent pas deux peuples.

III. Ilunga Mbidi et la fondation du pouvoir luba

1. La naissance de la royauté sacrée

La tradition luba attribue à Ilunga Mbidi l’origine :

  • de la lignée des Mulopwe (rois),
  • du principe de pouvoir légitimé par les ancêtres,
  • d’un système où le chef n’est pas seulement un gouvernant, mais un médiateur entre le visible et l’invisible.

Cette conception du pouvoir se retrouve :

  • au Kasaï,
  • au Katanga,
  • chez les peuples apparentés (Songye, Hemba, etc.).

2. Les Bambudi : gardiens de la mémoire

Le système bambudi, société de gardiens de la mémoire historique, est une innovation majeure de la civilisation luba.
Il permet :

  • la transmission fidèle des généalogies,
  • la conservation des récits fondateurs,
  • la continuité entre générations.

Sans les bambudye, des figures comme Ilunga Mbidi n’auraient pas traversé les siècles avec autant de cohérence.

IV. Kasaïens et Katangais : une séparation artificielle

1. Le choc colonial

La colonisation belge a profondément bouleversé les structures traditionnelles :

  • découpage arbitraire du territoire,
  • création de provinces administratives,
  • instrumentalisation des identités locales.

Les termes Kasaïen et Katangais sont des catégories administratives, pas des identités ancestrales.

2. La fracture politique postcoloniale

Après l’indépendance :

  • les crises politiques,
  • la sécession katangaise,
  • les conflits régionaux,

ont renforcé des identités de circonstance, parfois au détriment de la vérité historique.

Ces divisions ont souvent servi :

  • des intérêts politiques,
  • des stratégies de pouvoir,
  • des manipulations identitaires.

V. Ilunga Mbidi comme symbole d’unité nationale

1. Une mémoire à réhabiliter

Redonner à Ilunga Mbidi sa place, ce n’est pas faire œuvre de nostalgie. C’est :

  • restaurer une continuité historique,
  • déconstruire les récits de division,
  • rappeler que l’unité congolaise ne commence pas en 1960, mais des siècles plus tôt.

2. Une leçon pour la RDC contemporaine

Dans une RDC marquée par :

  • les tensions régionales,
  • les conflits identitaires,
  • les fractures politiques,

Ilunga Mbidi nous rappelle une vérité essentielle :

« Les frontières passent, les peuples demeurent. »

Conclusion – De l’ancêtre au projet national

Ilunga Mbidi n’est pas seulement une figure du passé. Il est un outil de lecture du présent et une boussole pour l’avenir. En reconnaissant que Kasaïens et Katangais sont issus d’un même ancêtre, d’un même peuple, d’une même civilisation, nous posons les bases d’un discours national plus juste, plus enraciné et plus rassembleur.

La RDC ne se construira pas durablement sur des identités fragmentées héritées de la colonisation, mais sur la reconnaissance de ses racines profondes.

Ilunga Mbidi est l’une de ces racines.

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